C’est l’histoire d’un amour. Un amour aujourd’hui évanoui, un amour perdu. Les écrivains écrivent toujours le même livre et la même histoire. Après Les derniers jours de la classe ouvrière, son premier roman tant remarqué par la critique, les libraires et les lecteurs, Aurélie Filippetti nous raconte une passion amoureuse. Après le récit de ses origines familiales, son exploration si précise du monde de la mine jusqu’à la fermeture de la dernière usine à Audun-le-Tiche, s’attaquer à une histoire d’amour qui semble aussi personnelle peut paraître tout à la fois risqué et terriblement éloigné de son univers. C’est tout le contraire. Risqué, bien sûr, car tout écrivain véritable prend des risques. Éloigné, pas le moins du monde, il semblerait même qu’il n’y ait pas de sujet plus proche de la condition ouvrière qu’une amour en région adultère. Il est marié, elle ne l’est pas. Il a deux enfants, elle élève seule sa petite fille. Ils vont s’aimer. Aurélie Filippetti montre comme encore personne ne l’a jamais fait qu’en amour aussi il y a une classe sociale. Le seul instant où les amants sont à égalité, une seule et même personne, c’est précisément quand ils sont nus, en train d’accomplir l’acte d’amour. Sinon, il y a toujours une supériorité, une domination, pas tant d’un homme sur une femme, ou l’inverse, mais la domination d’une classe sur une autre. Des origines donc, de l’éducation, des habitudes, chez l’un, tandis que, chez l’autre, une honte qui ne se dissipe pas, qui pourrait enfin s’effacer si l’être aimé renonçait à sa vie confortable pour vous emmener avec lui. Mais il ne renoncera pas, n’emportera pas la narratrice qui finit par garder cet homme dans la poche pour être sûre de ne pas l’oublier tout à fait. Le roman d’Aurélie Filippetti est déchirant, grâce et malgré sa beauté, sa crudité, son incandescence. Peu d’écrivains français sont parvenus à dire en un seul livre la vérité des corps tant humains que sociaux.